Les voix sans hommes

Aujourd'hui en Belgique, Freÿr est un des sites remarquables d’Europe: sur la rive occidentale de la Meuse, une dizaine de maisonnettes groupées derrière un château de plaisance du 18e siècle. Merveille d’élégance et d’équilibre, le château et le hameau font un étonnant contraste avec la rive orientale où quatre énormes rochers gris de 90 mètres de haut barrent l’horizon. La conformation de ces falaises et la largeur du fleuve font qu’une phrase prononcée d’une voix normale au pied des rochers peut être entendue sur l’autre rive aussi parfaitement que si elle avait été prononcée à quelques centimètres de l’oreille par un être invisible. Rien de plus normal que, depuis l’aube de l’histoire, cet impressionnant accident géologique et ce phénomène acoustique ont favorisé la naissance de nombreuses superstitions. Ainsi, la croyance en la malédiction des voix sans hommes frappant les voleurs de fruits… dont l’origine est sans doute à rapprocher de la présence dans les vergers du château de nombreux noyers. Tout amateur de noix sait que l’ouverture des coquilles réserve parfois des surprises: la diversité des formes que l’on peut y découvrir a suffi à faire rêver bien des poètes. Certaines suggèrent un visage sans bouche aux yeux démesurés. Les pièces représentées ici ont toutes été retrouvées dans les vieux meubles et fonds de greniers du hameau de Freÿr. Les Freÿrois de jadis croyaient que celui qui aurait la malchance de trouver une telle forme de coquille dans le «fruit» de son braconnage verrait l’esprit du prochain enfant à naître dans la famille hanter pendant neuf mois les alentours de la fontaine du hameau sous la forme d’une voix sans homme. Cet esprit des eaux et de l’air chuchotant à l’oreille des villageoises de simples grossièretés ou des médisances bien réelles. L’enfant qui naissait alors était réputé porteur d’une connaissance interdite, et surtout du mauvais œil… à moins que la coquille bizarre ne soit glissée avec un brin de buis dans son lange lors du baptême. En 1791, suite à l’exil du comte de Freÿr et la communautarisation du verger, les voix sans hommes disparurent, ainsi que s’éteignit cette superstition.

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